Le monde du fleuve & Le bateau fabuleux de P.J. Farmer
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- Créé le jeudi 11 novembre 2010 20:57
- Mis à jour le samedi 29 décembre 2012 17:04
- Écrit par Roshieru
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Titre : Le fleuve de l'éternité (une édition incluant Le monde du fleuve et Le bateau fabuleux, cette critique parlera donc des deux)
Titre original : To Your Scattered Bodies Go (1971) & The Fabulous Riverboat (1971)
Auteur : Philip José Farmer
Nombre de tomes : 5 (original et VF poche) et 4 (VF, édition Robert Laffont, collection Ailleurs et demain) :
- Le monde du fleuve
- Le bateau fabuleux
- Le noir dessein
- Le labyrinthe magique
- Les dieux du fleuve
Editeur : Robert Laffont, collection Ailleurs et demain (il existe d'autres éditions)
Editeur original : (à venir)
Prix : 6 euros en poche
Genre : SF, voire fantastique (ça dépendra de la sensibilité des lecteurs), Robert Laffont parle aussi de "roman picaresque"
Résumé : Le jour du grand cri, tous les humains qui avaient jamais vécu se réveillèrent, nus, sur les rives d'un fleuve immense, le Fleuve de l'éternité. Trente ou quarante milliards, issus de toutes les époques et de toutes les cultures, chacun parlant sa langue, chacun ayant sa conception de l'au-delà, et immensément surpris de se retrouver vivants. Parmi eux, des ressuscités célèbres en leur temps, l'explorateur Richard Burton, Som Clemens, alias Mark Twain, Jean sans Terre, Hélène de Troie, Cyrano de Bergerac, Mozart, Ulysse. Et tous les autres. Tous se demandent qui a construit ce monde impossible, qui les a ramenés à la vie. Et pourquoi ? (d'après l'édition Poche)
Critique :
Le fleuve de l'éternité est une saga de SF archi-connue et dont le premier volume a obtenu le prix Hugo, ce qui n'est pas rien. Elle a aussi été adaptée plusieurs fois à la télé et une fois en jeux vidéos. Alors, autant dire que lorsqu'on ouvre le bouquin à la première page, les attentes sont énormes. En tout cas, c'était mon cas. J'en espérais beaucoup étant donné la réputation de la série, sa popularité. Peut-être trop... ? En effet, j'ai trouvé ces deux premiers volumes (je rappelle que ma version les compile) plutôt décevants. Ou, devrais-je dire, surtout le second volume.
Pourtant, la saga ne manque pas d'indéniables qualités, à commencer par son sujet pas banal pour un sous. Le premier volume intrigue. On a envie d'en savoir plus, comme les héros, sur les raisons de cette résurrection massive et sur la nature des bienfaiteurs, ou ennemis, de l'humanité. Le livre parle beaucoup de religions mais de façon plus critique qu'apologiste, Farmer étant athée (me semble-t-il). La plupart des religions terrestres ont été discrédités, mais d'irréductibles humains, sous l'influence de leurs "bienfaiteurs", en créent une nouvelle, celle de la Seconde chance. D'après ses apôtres, l'humanité peut enfin s'élever au dessus de son habituelle mesquinerie pour accéder à la véritable immortalité (et être ainsi sauvé). Mais d'autres humains, et bien souvent les héros, pensent que leur résurrection n'a rien de divine, repose sur des principes scientifiques et qu'ils sont manipulés par leurs bienfaiteurs dans le but d'une expérience à grande échelle. Qui a raison ? Qui a tort ? Autant vous dire que ces deux premiers volumes n'apporteront aucune réponse concrète à cette quête de la vérité. Certes, les héros reçoivent des indices d'un(e) bienfaiteur(trice) rebelle mais rien ne dit que ses attentions sont plus louables que celles des siens. Et, qui dit que sa pseudo trahison n'est pas en fait une partie de leur expérience ? Rassurez-vous, ce n'est pas aussi prise de tête que ça en a l'air. Farmer nous offre nombre de batailles épiques et complots, ainsi que des histoires d'amour.
Un autre point s'avère particulièrement intéressant et même osé : Farmer met en scène des personnages historiques (ou illustres, si vous préférez) et n'hésite pas à piocher parmi des personnalités controversées (c'est presque un euphémisme) comme Jean sans terre ou... Göring. Oui, vous avez bien lu, Göring, le nazi. C'était assez casse gueule et pourtant Farmer use avec intelligence de ces deux personnalités. Si Jean sans terre reste un méchant dont le trait le plus appréciable est son machiavélisme, Görig bénéficie d'une évolution étonnante. Je ne souhaite pas en révéler trop. Disons qu'il devient une autre sorte d'illuminé (potentiellement dangereux). A côté d'eux, et comme le signale le résumé, on retrouve aussi des personnages un poil plus lisse mais pas trop non plus, comme Burton l'explorateur (héros du premier volume), Mark Twain alias Samuel Clemens (héros du second volume) ou encore Cyrano, Lothar von Richthofen (frère du baron rouge), Alice (celle ayant inspiré le roman), etc... On retrouve aussi d'autres protagonistes inventés, comme Frigate, un écrivain de science fiction américain passionné par la vie de Burton, ou bien Kazz, qui n'est pas un humain, mais un néandertal (espèce elle aussi ressuscitée) ou Monat, un extraterrestre de Tau Ceti mort sur Terre en 2008.
Malheureusement, ces deux premiers volumes s'embourbent dans plusieurs défauts qui pourront franchement rebuter les lecteurs. Le premier tient justement dans l'usage de personnages historiques. Dans Le monde du fleuve, il y a plutôt un bon ratio entre ceux-ci et les personnages que Farmer inventent. Mais, dans le bateau fabuleux on assiste à une sorte de défilé qui en devient indigeste. Cela tient peut-être au fait que Mark Twain veut justement rassembler des personnages illustres sur le bateau qu'il souhaite construire. Ou peut-être que Farmer a tout simplement trop exagéré. On a ainsi le droit à Ulysse, qui sert de Deus Ex Machina puis disparaît mystérieusement, à Cyrano qui fait un peu figuration, à la femme de Mark Twain, qui ne sert pas à grand chose à part permettre à Mark Twain de ruminer, à Tokugawa, Arthur (le cousin de Jean), plus tous les autres personnages historiques nommés juste pour faire joli, à Mozart, dont je n'ai toujours pas saisi l'utilité de l'apparition... Ah oui, avec Mozart, on touche du doigt le second problème, d'ailleurs !
Farmer aime s'étendre. Le problème, c'est qu'il s'étend parfois sur des choses totalement futiles ou des petits détails qui ne font pas avancer l'intrigue ou qui n'épaississent pas les personnages (qui en auraient pourtant besoin pour certains). Dans le second volume, c'est plus que flagrant lorsqu'il s'étend (oui, j'aime ce mot) avec de longues listes indigestes sur les métiers, les instruments, les matériaux ou de je ne sais quoi que l'on trouve dans tel territoire. Il m'est arrivé plusieurs fois de sauter ces longues phrases. Je trouve que c'est manquer de respect à l'auteur mais, en même temps, c'était ça ou m'endormir. Par ailleurs, il se focalise sur des détails totalement inutiles. Par exemple, Mozart nous est introduit plutôt longuement et je m'attendais à ce qu'il ait un rôle, parce que sinon pourquoi nous montrer son arrivée et sa rencontre avec Mark Twain avec autant d'insistance... ? Eh bien... Que nenni ! Je n'ai toujours pas compris ce qu'il faisait là et, s'il a un rôle dans le troisième volume, pourquoi ne pas l'avoir plutôt présenté dedans ? A l'inverse, on a le droit à des ellipses de plusieurs mois ou années, ce qui n'est pas forcément gênant, car je n'ose imaginer la taille que ferait la série si Farmer nous détaillait chaque chose.
Bon, cette tendance à disserter sur des choses pas primordiales n'est pas le pire défaut. Le problème, c'est surtout ce que je mentionnais dans le cas du second volume, soit que le personnage historique tue le personnage historique et que trop de personnages tue euh... Vous me suivez, je pense. Peu sont vraiment développés. C'était déjà apparent dans le premier volume, mais c'était logique puisque Burton et ses amis voyageaient. Dans Le bateau fabuleux, qui se situe dans une même zone géographique, en dehors de Görig qui signe un bref retour, on a grosso modo Mark Twain et Jean sans terre qui se cassent les pieds mutuellement, et au milieu Joe Miller, un titanthrope non-humain comme ne l'indique pas son nom, qui tient la chandelle en débattant avec Mark Twain et en tapant sur les gars de Jean. Notons que Mark Twain pleurniche beaucoup, ce qui pourra profondément agacer certains lecteurs. Fin des personnages réellement développés. Notons que dans le premier volume comme dans le second, les personnages féminins sont un peu en retrait, ce qui pourra déplaire à ceux et celles qui auront du mal à s'identifier aux personnalités masculines de l'histoire.
Par ailleurs, le point du titanthrope (Joe Miller, donc) est sans doute révélateur du troisième défaut du bouquin. Tout le monde, c'est-à-dire humains, pré-humains et espèces simiesques dont le titantrhope, apprennent trop facilement les langues humaines qu'ils rencontrent. Dans le premier, je me disais que Burton étant apparemment un polyglotte ou un linguiste, c'était assez cohérent. Dans le fond, les autres humains peuvent en faire de même avec des efforts. Que Burton puisse apprendre l'anglais à Kazz ne me choquait pas trop car les néandertaliens sont assez proches des humains. Par contre, que Joe Miller, qui d'après l'auteur lui-même tient plus du grand singe que de l'humain puisse :
1) apprendre le grec (ou l'égyptien ? J'ai un doute), l'anglais, voire l'espéranto
2) s'exprimer parfaitement en ces langues, tant au niveau du vocabulaire que de la syntaxe, malgré un défaut de prononciation
3) comprendre l'humour, en faire, saisir des concepts philosophiques/religieux
je trouve ça vraiment fort, très fort. Alors, précision, je ne prends pas les singes pour des idiots ni aucun animal (dont l'Homme fait parti) pour un idiot. Je suis même très intéressée par les tentatives de communications entre nous et les animaux, ou nos tentatives pour comprendre le langage qu'ils emploient entre eux. Cependant :
1) un singe ne dispose pas de cordes vocales adaptées. Bien sûr, on pourrait hasarder que la physionomie de Joe fait que, mais l'auteur ne le précise pas, plus encore il indique que Joe a une trompe, comme les singes nasiques.
2) bien que l'espèce de Joe Miller ait une culture et une langue, il me paraît hasardeux qu'il puisse saisir des concepts culturels proprement humains alors que nous, les humains, nous sommes déjà déroutés par les autres peuples. Je ne sais pas comment l'exprimer scientifiquement mais, grosso modo, nous n'avons pas les mêmes structures cognitives, le même mode de vie, etc... J'ai l'impression que Farmer commet la même erreur que ceux qui pensent qu'on pourra forcément comprendre une espèce extraterrestre qui nous visiterait (ou inversement). Par ailleurs, lorsque Joe raconte son histoire, il semble clairement indiquer que son espèce est moins évoluée que l'espèce humaine. Même s'il semble être un surdoué au niveau des siens, sa capacité à s'intégrer parmi nous paraît donc encore plus fantaisiste.
J'aime beaucoup Joe Miller, car il apporte beaucoup d'humour au récit, mais j'ai été fort surprise de cette absence de rigueur chez un auteur qui cherche tout de même tout un tas d'explications cohérentes pour expliquer comment l'humanité a été ressuscitée. Voilà qui fait désordre. Notons par ailleurs qu'aucun humain dans le second volume, je dis bien aucun, ne parvient à apprendre la langue de Joe Miller. Ou bien n'en fait pas l'effort. Je trouve ça d'autant plus bizarre ou stupide qu'ils auront à traverser le territoire de l'espèce de Joe pour accomplir leur voyage et qu'ils n'auront aucun interprète si Joe disparaît...
A me lire, on pourrait croire que j'ai franchement détesté. Ce n'est pas le cas. J'ai failli abandonner au milieu du second volume mais je me suis accrochée et j'ai tout de même eu envie de continuer la série. Parce que, bon sang, je veux savoir la vérité ! Je veux connaître la fin de la quête de Burton, Mark Twain et les autres ! Malgré tout, si les défauts que je mentionne vous rebute, je pense qu'il est inutile que vous tentiez cette série.
Voilà. Et, pour faire plaisir à Tatsu, je vais même mettre le résumé des points faibles et points forts.
Points positifs :
- Le scénario très original
- Une thématique religieuse sous un angle intéressant
- Certains personnages : Burton, Joe Miller, Mark Twain, Jean sans terre, Göring
- De l'aventure et de l'action
Points négatifs :
- Un second volume plus longuet
- Beaucoup de personnages, mais peu sont vraiment développés/utiles
- Joe Miller "trop humain"
- Les lamentations de Mark Twain
- Des personnages féminins en retrait